Que sont la Psychologie du soi et la Théorie des systèmes intersubjectifs?

La Psychologie psychanalytique du soi

La Psychologie psychanalytique du soi, telle que formulée par Heinz Kohut (1913-1981), apporta une innovation révolutionnaire dans le champ de la psychanalyse traditionnelle en plaçant l’expérience de soi au centre de l’entreprise thérapeutique, rejoignant ainsi les prémisses et les valeurs de la psychologie humaniste existentielle.

De plus, Kohut proposait que, dès la naissance et toute sa vie durant, cette expérience de soi se développe et se maintient à l’intérieur des relations aux autres dans des interactions où, entre autres, la personne se sent validée, reconnue et apaisée dans ses états émotionnels. Lorsque notre milieu de vie ne nous offre pas l’occasion de vivre ces expériences, souvent par des échecs répétitifs et chroniques de compréhension empathique, notre expérience de soi devient fragilisée, en perte de vitalité, de cohésion et de considération positive. Pour survivre émotionnellement, nous devons alors restreindre nos expériences, nos relations et notre développement, entraînant ainsi un appauvrissement de nos capacités relationnelle et d’adaptation.

L’approche thérapeutique, en mettant l’accent sur une exploration empathique soutenue du monde expérientiel du patient par le thérapeute, vise donc à créer le milieu relationnel qui permettra la restauration du processus de développement psychologique. Le thérapeute, dans sa relation au patient, apporte une attention particulière à leur expérience partagée, aux perturbations et ruptures qui surviennent inévitablement dans leur dialogue.

La Théorie des systèmes intersubjectifs

La Théorie des systèmes intersubjectifs fait partie de l’évolution continue de ce nouveau courant relationnel en psychanalyse. Cette théorie s’articule autour d’une vision du psychisme humain et de l’expérience subjective personnelle comme étant essentiellement interactifs et continuellement enchâssés dans les relations. Le processus thérapeutique est alors conçu comme étant un dialogue émotionnel co-construit, verbalement et non-verbalement, dans lequel le thérapeute et le patient tentent d’explorer les significations de leurs expériences partagées pour ainsi mieux comprendre et transformer les expériences souffrantes du patient.

D’un point de vue clinique, la Théorie des systèmes intersubjectifs est davantage une sensibilité qu’un savoir-faire technique (Buirski et Haglund, 2001), la sensibilité à l’inévitable interaction entre l’observateur et l’observé (Orange, Atwood et Stolorow, 1997). Nous ne pouvons pas avoir une perception et une compréhension non biaisée de l’expérience d’un autre. Nous nous joignons plutôt à cet autre dans l’espace intersubjectif pour co-construire une compréhension unique aux deux personnes en présence: « …l’organisation de l’expérience du thérapeute interagit avec celle du patient pour former un système psychologique unique et indissoluble » (Orange, Atwood et Stolorow, 1997).

L’histoire émotionnelle du thérapeute, ses théories explicites et implicites façonnent, élargissent et restreignent inévitablement sa compréhension empathique, de même que sa disponibilité émotionnelle. La compréhension empathique, enchâssée dans un processus relationnel mutuellement régulé, requiert une sensibilité particulière dans le travail clinique, une sensibilité qui se décrit en termes d’attitudes. D’abord une attitude auto-réflexive soutenue du thérapeute sur la subjectivité de sa propre perspective et sur l’impact de cette subjectivité sur l’expérience du patient. Certains appellent cette attitude « la conscience réflexive de soi en interaction » (Lecomte et Richard, 2006), conscience inévitablement limitée par notre historicité, en plus d’être émergente et dépendante du contexte actuel.

Cette vision proprement intersubjective de la compréhension empathique co-construite inspire également une attitude de faillibilité dans la pratique: notre compréhension, à tout moment, n’est seulement qu’une perspective inévitablement partielle et ainsi nécessite un dialogue pour être plus ajustée, plus inclusive. Cette attitude de faillibilité nous amène « à tenir légèrement à nos théories » (Orange, 1995), nous garde flexibles, ouverts à nous laisser surprendre par ce qui émerge et à apprendre de nos patients et collègues. Cette posture de compréhension empathique implique également une attitude humanisante de compassion; ce que Donna Orange (2006) reconnaît comme étant l’équivalent d’un processus dialogique où on est amené « à subir la situation avec l’autre » (Gadamer 1975) afin de lui donner un sens et d’ouvrir de nouvelles possibilités expérientielles pour les deux participants.

Telle est la nature d’une compréhension thérapeutique que nous croyons efficace et capable de guérir les blessures émotionnelles et de favoriser le changement. Mais comment l’atteindre, la développer? Si nous ne pouvons en faire une procédure technique concrète, comment acquérir ou cultiver cette sensibilité? Les tenants de la théorie de l’intersubjectivité croient que c’est dans l’expérience vécue avec chacun de nos patients particuliers, dans l’exercice soutenu de nos tentatives d’élargir notre propre perspective pour y inclure celle du patient. Ces efforts entraînant d’inévitables fluctuations, perturbations, ruptures et impasses dans le dialogue empathique, la reconnaissance de celles-ci devient également un exercice essentiel.

Références
  • Buirski, P. et Haglund, P. (2001). Making Sense Together: The Intersubjective Approach to Psychotherapy. Northvale NJ: Jason Aronson.
  • Lecomte, C. et Richard, A. (2006). Pour une psychothérapie pleinement relationnelle. In: S. Ginger, E. Marc et A. Tarpinian (éds) Être psychothérapeute: questions, pratiques, enjeux. Paris: Dunod.
  • Orange, D.M. (1995). Emotional Understanding: Studies in Psychoanalytic Epistemology. Hillsdale, NJ: The Analytic Press.
  • Orange, D.M. (2006). For whom the bell tolls: Context, complexity and compassion in psychoanalysis. International Journal of Psychoanalytic Self Psychology , 1(1): 5-21.
  • Orange, D.M., Atwood, G.E., et Stolorow, R.D. (1997). Working Intersubjectively: Contextualism in Psychoanalytic Practice. Hillsdale, NJ: The Analytic Press.




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